Revue Africaine des sciences sociales et politiques

Le Sénégal est-il vraiment un modèle de démocratie ?

« Aar Sunu Election » en wolof.  « Protégez notre élection ». Derrière cet appel se sont rassemblées début février 2024 de nombreuses organisations de la société civile sénégalaise. Elles s’insurgent contre l’annulation par le président de la République Macky Sall du décret convoquant le corps électoral pour lui choisir un successeur.

L’élection présidentielle prévue le 25 février est annulée. C’est une première au Sénégal. Le choc est d’autant plus fort, que cette décision tombe le 3 février, quelques heures avant le début d’une campagne électorale de trois semaines. Le Sénégal plonge dans l’inconnu. C’est le début d’une crise politique. Mais ce n’est pas la première dans ce pays souvent vanté pour la stabilité de ses institutions.

Les années Senghor (1960-80) : du parti unique au multipartisme

Dans une note publiée par la Fondation Jean Jaurès, le 19 mars, intitulée « Crise politique au Sénégal : sans dialogue, l’édifice démocratique tremble », le consultant politique Mathias Khalfaoui rappelle que « les crises politiques au Sénégal sont nombreuses et régulières. Elles varient tout au plus en importance symbolique et en gravité quant à leurs conséquences. Si la période récente a ainsi vu une soixantaine de personnes perdre la vie, ce n’est pas inhabituel, notamment en période électorale. L’exemple le plus parlant est la première élection de Senghor en 1963 qui avait conduit à des émeutes menant à la mort d’une quarantaine de personnes et faisant près de 250 blessés pour le seul mois de décembre ».

Les années de pouvoir de Léopold Sedar Senghor, le poète-président et chantre de la négritude, sont marquées par des crises politiques contre sa gouvernance. Dans les premières années de l’indépendance, le conflit qui l’oppose au président du Conseil de gouvernement de l’époque, Mamadou Dia, aboutit à un procès inique. Accusés de coup d’Etat, Mamadou Dia et quatre de ses ministres furent tous jugés et condamnés lourdement en 1963, de 5 ans de prison jusqu’à la perpétuité pour le président du Conseil. Après cet épisode trouble s’ouvre au Sénégal une nouvelle ère, celle d’un régime présidentiel avec un parti unique.

En mai 1968, la révolte gronde dans les milieux étudiants et le président Senghor envoie l’armée sur le campus de l’université de Dakar. L’un des héritages du mai 68 sénégalais est la rupture avec le système de parti unique et l’ouverture en 1976 d’un multipartisme organisé en 4 courants, puis d’un multipartisme intégral en 1981.